Le paysage, pour Staël, ce n’est pas le pittoresque ou la description fidèle d’un site, mais avant tout la lumière et l’espace, les éléments.
Le "cassé-bleu"
Nicolas de STAËL (1914-1955), Le Lavandou, 1952, huile sur contreplaqué, 12 x 18 cm. Collection privée. © J.L. Losi — © ADAGP, Paris, 2014
En mai 1952, encouragé par
René Char,
Staël redécouvre le Sud de la France et son éblouissante lumière. Comme tant d'autres peintres avant lui depuis le XIXe siècle, de
Van Gogh aux fauves, la Méditerranée l'attire. Les petites études de plages du Lavandou, tout autant que les peintures de grand format réalisées à l'atelier, témoignent de l'intensité avec laquelle l'artiste ressent cette lumière, appelée
"cassé-bleu" par
Char, qui transforme la perception des couleurs et des volumes. Les formes schématiques et puissantes structurent la composition, les contrastes colorés sont portés à leur limite.
La Provence
Nicolas de STAËL (1914-1955), Paysage du Vaucluse n°2, 1953, huile sur toile, 65 x 81 cm. © Buffalo, NY, Albright-Knox Art Gallery. Gift of the Seymour H.Knox Foundation, INC., 1969 — © ADAGP, Paris, 2014
À partir de l'été 1953, même s'il éprouvera le besoin de venir confronter régulièrement sa vision aux lumières de Paris et du Nord,
Staël s'attache définitivement au Midi de la France, séjournant d'abord à Lagnes dans le Vaucluse. Sa palette où le bleu reste très présent s'ouvre aux ocres, dans une matière qui va progressivement se fluidifier. Les œuvres réalisées à cette période témoignent de l'intérêt du peintre pour les formes rudes et acérées de cette région, tout autant que pour sa lumière. En contraste avec les marines, les compositions présentent des lignes obliques, des volumes (arbres, rochers...) qui découpent le ciel et structurent l'espace.
Sicile
Nicolas de STAËL (1914-1955), Agrigente, 1954, huile sur toile, 73 x 92 cm. Collection privée. © Droits réservés — © ADAGP, Paris, 2014
A partir de 1950, le marché américain s'ouvre progressivement à l'œuvre de
Staël. En février 1953, il part à New York pour une exposition personnelle à la galerie Knoedler. Celle-ci remporte un vrai succès critique et commercial. Le marchand Paul Rosenberg lui propose un contrat en juin et la perspective d'être enfin dégagé des soucis financiers lui permet d'envisager de nouveaux voyages. Pendant l'été, le peintre part depuis Lagnes pour un périple à travers la péninsule italienne et la Sicile, qui donnera naissance aux paysages parmi les plus intenses de son œuvre. La simplification des formes, les aplats colorés purs font écho à l'œuvre de Matisse et en particulier à ses papiers gouachés et découpés. Si
Staël dessine beaucoup pendant le voyage, c'est dans les mois qui suivent le retour d'Italie, dans le nouvel atelier du Castelet à Ménerbes (Vaucluse), grande bâtisse qu'il acquiert à l'automne, qu'il reprend les thèmes siciliens, déployant le souvenir de la "lumière grecque" dans une couleur portée à son paroxysme.
Antibes
Nicolas de STAËL (1914-1955), Paysage, Antibes, 1955, huile sur toile, 116 x 89 cm. © MuMa Le Havre / Charles Maslard — © ADAGP, Paris, 2013
En septembre 1954,
Staël s'installe seul à Antibes et ouvre son dernier atelier sur les remparts, d'où il a une vue sur le Fort Carré - sujet de prédilection de ces derniers mois - le massif du Mercantour, la Baie des Anges et jusqu'au cap d'Antibes. Dans une fièvre de travail parfois nourrie d'inquiétude, il cherche plus que jamais à repousser les limites de l'expression picturale, travaillant les grands formats, cherchant en permanence à se renouveler. Pendant les six derniers mois d'une vie vouée à la peinture, il réalise des marines aux dominantes souvent bleues. Vues du port d'Antibes et du Fort Carré, mâts, bateaux ou mouettes au ras de l'eau témoignent des dernières œuvres d'un peintre à la trajectoire fulgurante, qui a réalisé en quelques années une des œuvres les plus libres de la seconde moitié du XXe siècle.