PIGNON, L'Ouvrier mort & La Cuisine
Édouard PIGNON (1905-1993)
L'Ouvrier mort
1952
huile sur papier marouflé sur toile
75 x 93,5 cm
Le Havre, musée d'art moderne André Malraux, achat de la Ville, 1952
© 2005 MuMa Le Havre / Florian Kleinefenn © ADAGP, Paris 2020
L'Ouvrier mort
1952
huile sur papier marouflé sur toile
75 x 93,5 cm
Le Havre, musée d'art moderne André Malraux, achat de la Ville, 1952
© 2005 MuMa Le Havre / Florian Kleinefenn © ADAGP, Paris 2020
Édouard PIGNON (1905-1993)
La Cuisine
1950
huile sur toile
38 x 55 cm
Le Havre, musée d'art moderne André Malraux, achat de la Ville, 1952
© 2005 MuMa Le Havre / Florian Kleinefenn © ADAGP, Paris 2020
La Cuisine
1950
huile sur toile
38 x 55 cm
Le Havre, musée d'art moderne André Malraux, achat de la Ville, 1952
© 2005 MuMa Le Havre / Florian Kleinefenn © ADAGP, Paris 2020
Né à Bully-les-Mines en 1905, Édouard Pignon est issu d’une famille de mineurs. En 1912, à peine âgé de sept ans, il assiste à la catastrophe de la mine de la Clarence, qui le marque profondément.
Destiné à une vie ouvrière, il se découvre très jeune une vocation artistique. Il réalise ses premiers dessins entre 1914 et 1918, lors du premier conflit mondial. En 1925 il part à Paris pour devenir peintre. Il travaille quelques années comme manœuvre chez Citroën et suit, en parallèle, les cours du soir de l’école du boulevard Montparnasse.
En 1931, Édouard Pignon travaille chez Renault et se syndicalise en adhérant à la CGTU[1]. Dans le même temps il se rallie à l’Association des Écrivains et Artistes Révolutionnaires qui prône une peinture sociale soutenant les luttes et les aspirations du prolétariat. Alors proche d’André Fougeron et du réalisme socialisme, il adhère au parti communiste en 1933.
En 1941, il participe à l’exposition Vingt jeunes peintres de tradition française organisée par Jean Bazaine à la Galerie Braun à Paris. A cette même période il poursuit ses recherches picturales et réalise une série de Maternités. Il participe, en 1945, à la création du Salon de Mai et se rend l’année suivante à Ostende où il décide de s’installer pour peindre. 1949 est une année charnière dans son travail artistique. Attiré par la lumière et les paysages du midi de la France il s’y installe et peint sa série sur l’olivier, qui introduit dans son œuvre une nouvelle manière de construire l’espace qui marque son opposition à l’esthétique du réalisme socialiste du Parti communiste avec lequel il vient de rompre.
Les deux œuvres d’Édouard Pignon, La Cuisine et L’Ouvrier mort sont les toutes premières acquisitions réalisées par Reynold Arnould alors qu’il vient d’être nommé conservateur des musées de la Ville du Havre, en 1952.
En 1936, inspiré par ses souvenirs de la catastrophe de la mine de La Clarence, Édouard Pignon réalise une première version de L’Ouvrier mort aujourd’hui conservée au musée national d’art moderne. L’Ouvrier mort de 1936 regroupe pour lui le souvenir de sa jeunesse dans les mines ainsi que les images de la catastrophe minière dont il avait été le témoin mais il l’a aussi conçu comme un symbole de solidarité[2].
« Dans le rassemblement des hommes et des femmes autour du corps mort, il y a en effet une communion avec le mort, une fraternité devant la mort [3]».
En 1952, Édouard Pignon revient sur le sujet, qu’il souhaite faire évoluer en fonction du contexte politique et des « drames de son temps[4]» dans une grande composition montrée pour la première fois au Salon de mai de 1952. Au mois de juin suivant, une exposition de la Galerie de France montre le tableau avec ses travaux préparatoires, dessins et peintures réalisé à Vallauris l’année précédente dans les ateliers du Fournas prêtés par Picasso.
Le tableau de 1952 reprend la composition monumentale très frontale de celui de 1936, inspirée des modèles de la peinture d’histoire et de l’iconographie religieuse. Mais, au-delà de l’iconographie, c’est tout son rapport avec la réalité en peinture qui se joue pour Pignon dans la reprise du thème. Dans une scène artistique agitée par le débat entre abstraction et réalité, sans allégation au réalisme prôné par la politique culturelle du Parti communiste, il cherche à aller au bout de son sujet en peinture pour laisser s'exprimer toute son authenticité.
« C’était la mise sur pied de tous mes moyens actuels pour conquérir une vérité, c’était toute ma peinture qui se dressait pour entrer dans une figure, et en ressortait différente. C’était une terrible bataille, tous mes moyens en mains. Mais pour trouver ce que j’avais à dire, il fallait en trouver d’autres. L’ouvrier mort, comme l’olivier, me forçaient à pénétrer leur vérité propre, et déterminaient la mise à nu de nombreux moyens, en même temps qu’un visage nouveau de ma peinture »[5].
Daté de 1952, L’Ouvrier mort conservé au Havre est un des derniers tableaux préparatoires réalisés par Pignon pour sa grande composition. Il a vraisemblablement été présenté à la Galerie de France dans l’exposition de juin 1952. On y observe de nettes différences encore avec la grande composition du musée national d’art moderne, achevée définitivement en 1955 seulement.
Dans la version du Havre, la mère, figure centrale de la composition posée devant une série de planches blanches désaxées et percées de trous noirs qui l’auréolent comme une couronne brisée, regarde le cadavre à ses pieds. Elle est encadrée par deux ouvriers aux torses nus. Le premier regarde l’homme mort tandis que l’autre dévisage le spectateur. Derrière l’homme de gauche s’alignent des silhouettes sans visages d’autres ouvriers, identifiés encore par les outils qu’ils tiennent et qui viennent structurer la composition en écho aux poutres et à la roue brisée de la droite.
Dans la version définitive, la mère toujours debout devant son auréole de planches cassées embrasse désormais l’enfant qu’elle tient dans ses bras. Plus personne ne regarde le cadavre. Maintenant vêtus de chemises, les deux hommes qui l’encadrent fixent et défient le spectateur comme deux gardiens. Les hommes de gauche se sont enfoncés dans l’obscurité, leurs outils sont effacés mais tous désormais ont des visages qui regardent le spectateur. Les teintes vertes ont disparues de la palette au profit des bleus et des gris qui dominent toute l’œuvre.
Dans La Cuisine peinte en 1950, que l’on peut rapprocher de la série des femmes assises de Pignon comme de son travail sur les mineurs, inspiré par un séjour de plusieurs semaines qu’il fait chez sa mère à Marles-les-Mines en 1948, on retrouve cette même interrogation du réel. Une scène de vie quotidienne, une vieille femme assise dans sa cuisine, un bol à la main, devient sujet d’exploration en peinture, une peinture dont toutes les possibilités sont mises à profit pour exprimer la quintessence d’une réalité.
Reynold Arnould connaissait Édouard Pignon depuis 1947. Ils se sont rencontrés dans l’entourage du restaurateur et mécène Camille Renault à Puteaux, alors que celui-ci soutenait les deux artistes. Il acquiert les œuvres par l’intermédiaire de la Galerie de France, qui présentait aussi son travail de peintre, à la fin de 1952.
Premier geste, premier choix d’une politique d’acquisition pour un musée rêvé qu’il a pour mission de faire sortir de terre, ces deux toiles reflètent tout autant le souci du conservateur de faire entrer l’art contemporain au musée que la recherche du peintre alors au cœur de ses réflexions sur la figuration et de la représentation du réel.
Preuve de l’importance qu’Arnould donne à ces deux œuvres, elles sont présentées toutes les deux en 1953 dans l’exposition De Corot à nos jours au musée du Havre qui préfigure la reconstruction du musée du Havre au musée national d’art moderne ainsi que dans la présentation des collections permanentes mise en place pour l’inauguration du Musée-maison de la Culture du Havre le 24 juin 1961[6].
Deux ans après, Reynold Arnould consacre une exposition à Édouard Pignon, 50 peintures de 1930 à 1963, inaugurée en présence de l’artiste le 16 novembre 1963, reprise d’une exposition de 1962 de la Galerie de France[7].
[1] Il s’agit de la Confédération générale du travail unitaire (CGTU), syndicat étroitement lié au Parti communiste.
[2] « Solidarité » devait d’ailleurs être le titre initial du tableau
[3] « Propos de Pignon sur la peinture et la réalité », entretien recueilli par Jean-Louis Ferrier en 1962, publié dans : Edouard Pignon : cinquante peintures de 1936 à 1962, Paris, Galerie de France, 1962, p. 26.
[4] « Propos de Pignon sur la peinture et la réalité », Ibid, p. 26.
[5] « Propos de Pignon sur la peinture et la réalité », Ibid, pp.26-27.
[6] Curieusement dans les deux catalogues L’Ouvrier mort, acheté pourtant sous ce titre à la galerie en 1952 est alors nommé Les Ouvriers.
[7] 22 juin – 30 septembre 1952.
Destiné à une vie ouvrière, il se découvre très jeune une vocation artistique. Il réalise ses premiers dessins entre 1914 et 1918, lors du premier conflit mondial. En 1925 il part à Paris pour devenir peintre. Il travaille quelques années comme manœuvre chez Citroën et suit, en parallèle, les cours du soir de l’école du boulevard Montparnasse.
En 1931, Édouard Pignon travaille chez Renault et se syndicalise en adhérant à la CGTU[1]. Dans le même temps il se rallie à l’Association des Écrivains et Artistes Révolutionnaires qui prône une peinture sociale soutenant les luttes et les aspirations du prolétariat. Alors proche d’André Fougeron et du réalisme socialisme, il adhère au parti communiste en 1933.
En 1941, il participe à l’exposition Vingt jeunes peintres de tradition française organisée par Jean Bazaine à la Galerie Braun à Paris. A cette même période il poursuit ses recherches picturales et réalise une série de Maternités. Il participe, en 1945, à la création du Salon de Mai et se rend l’année suivante à Ostende où il décide de s’installer pour peindre. 1949 est une année charnière dans son travail artistique. Attiré par la lumière et les paysages du midi de la France il s’y installe et peint sa série sur l’olivier, qui introduit dans son œuvre une nouvelle manière de construire l’espace qui marque son opposition à l’esthétique du réalisme socialiste du Parti communiste avec lequel il vient de rompre.
Les deux œuvres d’Édouard Pignon, La Cuisine et L’Ouvrier mort sont les toutes premières acquisitions réalisées par Reynold Arnould alors qu’il vient d’être nommé conservateur des musées de la Ville du Havre, en 1952.
En 1936, inspiré par ses souvenirs de la catastrophe de la mine de La Clarence, Édouard Pignon réalise une première version de L’Ouvrier mort aujourd’hui conservée au musée national d’art moderne. L’Ouvrier mort de 1936 regroupe pour lui le souvenir de sa jeunesse dans les mines ainsi que les images de la catastrophe minière dont il avait été le témoin mais il l’a aussi conçu comme un symbole de solidarité[2].
« Dans le rassemblement des hommes et des femmes autour du corps mort, il y a en effet une communion avec le mort, une fraternité devant la mort [3]».
En 1952, Édouard Pignon revient sur le sujet, qu’il souhaite faire évoluer en fonction du contexte politique et des « drames de son temps[4]» dans une grande composition montrée pour la première fois au Salon de mai de 1952. Au mois de juin suivant, une exposition de la Galerie de France montre le tableau avec ses travaux préparatoires, dessins et peintures réalisé à Vallauris l’année précédente dans les ateliers du Fournas prêtés par Picasso.
Le tableau de 1952 reprend la composition monumentale très frontale de celui de 1936, inspirée des modèles de la peinture d’histoire et de l’iconographie religieuse. Mais, au-delà de l’iconographie, c’est tout son rapport avec la réalité en peinture qui se joue pour Pignon dans la reprise du thème. Dans une scène artistique agitée par le débat entre abstraction et réalité, sans allégation au réalisme prôné par la politique culturelle du Parti communiste, il cherche à aller au bout de son sujet en peinture pour laisser s'exprimer toute son authenticité.
« C’était la mise sur pied de tous mes moyens actuels pour conquérir une vérité, c’était toute ma peinture qui se dressait pour entrer dans une figure, et en ressortait différente. C’était une terrible bataille, tous mes moyens en mains. Mais pour trouver ce que j’avais à dire, il fallait en trouver d’autres. L’ouvrier mort, comme l’olivier, me forçaient à pénétrer leur vérité propre, et déterminaient la mise à nu de nombreux moyens, en même temps qu’un visage nouveau de ma peinture »[5].
Daté de 1952, L’Ouvrier mort conservé au Havre est un des derniers tableaux préparatoires réalisés par Pignon pour sa grande composition. Il a vraisemblablement été présenté à la Galerie de France dans l’exposition de juin 1952. On y observe de nettes différences encore avec la grande composition du musée national d’art moderne, achevée définitivement en 1955 seulement.
Dans la version du Havre, la mère, figure centrale de la composition posée devant une série de planches blanches désaxées et percées de trous noirs qui l’auréolent comme une couronne brisée, regarde le cadavre à ses pieds. Elle est encadrée par deux ouvriers aux torses nus. Le premier regarde l’homme mort tandis que l’autre dévisage le spectateur. Derrière l’homme de gauche s’alignent des silhouettes sans visages d’autres ouvriers, identifiés encore par les outils qu’ils tiennent et qui viennent structurer la composition en écho aux poutres et à la roue brisée de la droite.
Dans la version définitive, la mère toujours debout devant son auréole de planches cassées embrasse désormais l’enfant qu’elle tient dans ses bras. Plus personne ne regarde le cadavre. Maintenant vêtus de chemises, les deux hommes qui l’encadrent fixent et défient le spectateur comme deux gardiens. Les hommes de gauche se sont enfoncés dans l’obscurité, leurs outils sont effacés mais tous désormais ont des visages qui regardent le spectateur. Les teintes vertes ont disparues de la palette au profit des bleus et des gris qui dominent toute l’œuvre.
Dans La Cuisine peinte en 1950, que l’on peut rapprocher de la série des femmes assises de Pignon comme de son travail sur les mineurs, inspiré par un séjour de plusieurs semaines qu’il fait chez sa mère à Marles-les-Mines en 1948, on retrouve cette même interrogation du réel. Une scène de vie quotidienne, une vieille femme assise dans sa cuisine, un bol à la main, devient sujet d’exploration en peinture, une peinture dont toutes les possibilités sont mises à profit pour exprimer la quintessence d’une réalité.
Reynold Arnould connaissait Édouard Pignon depuis 1947. Ils se sont rencontrés dans l’entourage du restaurateur et mécène Camille Renault à Puteaux, alors que celui-ci soutenait les deux artistes. Il acquiert les œuvres par l’intermédiaire de la Galerie de France, qui présentait aussi son travail de peintre, à la fin de 1952.
Premier geste, premier choix d’une politique d’acquisition pour un musée rêvé qu’il a pour mission de faire sortir de terre, ces deux toiles reflètent tout autant le souci du conservateur de faire entrer l’art contemporain au musée que la recherche du peintre alors au cœur de ses réflexions sur la figuration et de la représentation du réel.
Preuve de l’importance qu’Arnould donne à ces deux œuvres, elles sont présentées toutes les deux en 1953 dans l’exposition De Corot à nos jours au musée du Havre qui préfigure la reconstruction du musée du Havre au musée national d’art moderne ainsi que dans la présentation des collections permanentes mise en place pour l’inauguration du Musée-maison de la Culture du Havre le 24 juin 1961[6].
Deux ans après, Reynold Arnould consacre une exposition à Édouard Pignon, 50 peintures de 1930 à 1963, inaugurée en présence de l’artiste le 16 novembre 1963, reprise d’une exposition de 1962 de la Galerie de France[7].
[1] Il s’agit de la Confédération générale du travail unitaire (CGTU), syndicat étroitement lié au Parti communiste.
[2] « Solidarité » devait d’ailleurs être le titre initial du tableau
[3] « Propos de Pignon sur la peinture et la réalité », entretien recueilli par Jean-Louis Ferrier en 1962, publié dans : Edouard Pignon : cinquante peintures de 1936 à 1962, Paris, Galerie de France, 1962, p. 26.
[4] « Propos de Pignon sur la peinture et la réalité », Ibid, p. 26.
[5] « Propos de Pignon sur la peinture et la réalité », Ibid, pp.26-27.
[6] Curieusement dans les deux catalogues L’Ouvrier mort, acheté pourtant sous ce titre à la galerie en 1952 est alors nommé Les Ouvriers.
[7] 22 juin – 30 septembre 1952.
Par Claire Rançon et Clémence Poivet-Ducroix, MuMa Le Havre
EN SAVOIR +