ESTÈVE, Noirlac

Maurice ESTÈVE (1904-2001), Noirlac, 1954, huile sur toile, 61 x 50 cm. Le Havre, musée d’art moderne André Malraux, dépôt du Centre National des Arts Plastiques, 1955. © 2005 MuMa Le Havre / Florian Kleinefenn © ADAGP, Paris 2023
Maurice ESTÈVE (1904-2001)
Noirlac
1954
huile sur toile
61 x 50 cm
Le Havre, musée d’art moderne André Malraux, dépôt du Centre National des Arts Plastiques, 1955
© 2005 MuMa Le Havre / Florian Kleinefenn © ADAGP, Paris 2023
« Aujourd’hui je me sens seul dans l’univers des couleurs et des formes mais je me sens plus près de la nature[1] »
– Maurice ESTÈVE
 
Maurice Estève est né en 1904 à Culan, dans le département du Cher. En 1913, il vit à Paris où il découvre le musée du Louvre. Il se forme en autodidacte. Il s’exerce à la peinture et visite les musées et les expositions dès que l’occasion se présente. Il étudie les Primitifs italiens mais aussi Cézanne qui aura une influence considérable sur son œuvre. En 1923, il se rend en Espagne, à Barcelone précisément, où il est engagé dans un atelier de broderie. Mais sa passion de la peinture est plus forte que tout et le conduit à choisir de s’y consacrer uniquement.
En 1928, Maurice Estève abandonne l’étude d’après nature. Il mène des recherches plastiques plus profondes autour de la forme et de la couleur. L’année 1930 marque une étape dans sa carrière puisqu’il réalise sa première exposition personnelle à la Galerie Yvangot. En 1932, il fonde avec André Fougeron et Edouard Pignon la revue Les Indélicats qu’il illustre de ses gravures[2]. Son œuvre alors est engagée mais l’artiste, ne se reconnaissant pas dans cette forme d’art, s’en écarte. Il ne souhaite pas se limiter à la représentation stricte du réel mais innover par l’emploi de la couleur et se dirige dans la voie de l’abstraction. En 1937, sous la direction de Robert et Sonia Delaunay, Estève participe à la réalisation des grandes décorations pour le Pavillon des Chemins de fer et celui de l’Aéronautique pour l’exposition universelle. Mobilisé à Brétigny en 1939, il réalise des dessins dans ses Carnets de guerre[3].
L’année 1941 est un tournant pour Estève qui accepte un contrat d’exclusivité avec la Galerie Louis Carré. En 1943, il expose aussi aux côtés de Beaudin, Borès, Gischia et Pignon à la Galerie de France lors de l’exposition Cinq peintres d’aujourd’hui. Il faut attendre 1948 pour que soit organisée une exposition personnelle de son œuvre peint à la Galerie Louis Carré : 30 tableaux peints de 1935 à 1947. L’année suivante l’artiste rompt avec son galeriste. Il collabore alors avec la Galerie Villand-Galanis qui révèle l’ampleur de son talent, sa notoriété s’accroit ainsi.
 
Proche des artistes que l’on rassemble sous la notion de Nouvelle école de Paris[4], Maurice Estève s’intéresse aux lignes, aux formes et aux couleurs qui constituent l’essence même de sa peinture. Il assemble les couleurs vives, les jaunes, les rouges mais aussi les bleus dans de grands aplats qui créent une unité dans le tableau. Il est attentif aussi aux effets de matière.
 
L’huile sur toile Noirlac, réalisée en 1954, entre dans les collections du musée sous la forme d’un dépôt de l’État à la fin de l’année 1955[5]. Bien qu’abstrait, le tableau s’ancre encore dans la réalité par son titre. En effet, l’abbaye de Noirlac se situe dans le département du Cher où Estève a grandi.
Si aucun document ne nous permet d’identifier la personne à l’origine de cette attribution, nous pouvons toutefois émettre l’hypothèse qu’il pourrait s’agir soit de Bernard Dorival – conservateur adjoint du musée national d’art moderne – ou de Reynold Arnould. Plusieurs éléments se recoupent en ce sens. Effectivement, tout d’abord les deux artistes se connaissaient. Ils se sont rencontrés pour la première fois en 1952[6]. Cela a ainsi pu déterminer le choix d’Arnould.
Par ailleurs, Reynold Arnould était proche de Bernard Dorival qui influença de manière importante la part des achats de l’État et les attributions au musée du Havre. Dès 1952 l’État achète une toile à l’artiste, Rebecca[7] destiné au musée national d’art moderne . La peinture Noirlac est quant à elle achetée par l’intermédiaire du bureau des Travaux d’art en 1955 lors de l’exposition de l’artiste à la Galerie Villand Galanis. L’inspectrice Marguerite Lamy propose l’achat de cette toile[8] qui est cédée au prix de 180 000 Francs[9].
 
Noirlac vient ainsi compléter la collection contemporaine que Reynold Arnould s’efforce de constituer au nouveau musée du Havre avec les moyens limités, dont il dispose. L’œuvre est exposée lors de l’inauguration du Musée-maison de la Culture le 24 juin 1961.

[1] Interview de l’artiste Maurice Estève, Visage du centre, émission produite par France 2 Orléans, diffusée le 17 février 1983. Archives INA.
[2] PRUDHOMME-ESTÈVE Monique, Collection du musée Estève, Donations de Monique et Maurice Estève à la Ville de Bourges, Éditions des musées de la Ville de Bourges, 2008, p. 11.
[3] PRUDHOMME-ESTÈVE Monique, Ibid., p. 13.
[4] Pour une définition de La Nouvelle école de Paris voir l’article de Natalie Adamson  « La Nouvelle École de Paris » In. Traverser la lumière. Bazaine – Bissière – Elvire Jan – Le Moal – Manessier – Singier, pp. 26-37.
[5] Arrêté du bureau des Travaux d’art du 17 décembre 1955. Dossiers des dépôts de l’État, archives MuMa.
[6] ROT Gwenaële et VATIN François, Reynold Arnould. Une poétique de l’industrie, Paris, Presses universitaires de Paris Nanterre, 2019, p. 80.
[7] DORIVAL Bernad, L’École de Paris au musée national d’art moderne, Paris, Somogy, 1961, pp. 262-263.
[8] Note de Marguerite Lamy adressée au Chef du bureau des Travaux d’art, Pierre Goutal, 17 mai 1955. Archives nationales, F/21/6922.
« ESTÈVE qui fait très rarement des expositions a réuni un bel ensemble d’œuvres de ces dernières années à la Galerie Galanis. Il serait peut-être intéressant que nous lui achetions une de ces peintures, aussi vous proposerai-je une toile de 12 « Noirlac », n°25 de l’exposition, bien que mon choix ait été rendu difficile par l’empressement avec lequel les amateurs se sont jetés sur ses œuvres. »
[9] Lettre de Pierre Goutal adressée à Maurice Estève, 18 juin 1955. Archives nationales, F/21/6922.
Par Claire Rançon et Clémence Poivet-Ducroix, MuMa Le Havre

Œuvres commentées : XXe siècle (36)

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BEAUDIN André (1895-1979), La Plage , 1959 , huile sur toile, 45,5 x 38 cm. Le Havre, musée d’art moderne André Malraux, achat de la ville en 1964. © 2005 MuMa Le Havre / Florian Kleinefenn © ADAGP, Paris 2020
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Reynold ARNOULD (1919-1980), Derrick, circa 1958-1959, huile sur toile, 164 x 99 cm. Le Havre, musée d’art moderne André Malraux, don Marthe Arnould, 1981. © 2015 MuMa Le Havre / Charles Maslard
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Reynold ARNOULD (1919-1980), Machine-outil II, Le Bourget, vers 1958-1959, huile sur toile, 96,5 x 96,5 cm. Le Havre, musée d’art moderne André Malraux, don Marthe Arnould, 1981. © 2015 MuMa Le Havre / Charles Maslard
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Alfred MANESSIER (1911-1993), Apaisé, 1952, huile sur toile, 92 x 50,2 cm. Le Havre, musée d'art moderne André Malraux, achat de la Ville, 1953. © 2011 MuMa Le Havre / Charles Maslard © ADAGP, Paris 2020
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Édouard PIGNON (1905-1993), L'Ouvrier mort, 1952, huile sur papier marouflé sur toile, 75 x 93,5 cm. Le Havre, musée d'art moderne André Malraux, achat de la Ville, 1952. © 2005 MuMa Le Havre / Florian Kleinefenn © ADAGP, Paris 2020
André LEGALLAIS (1921-1980), Nature morte, 1955, huile sur toile, 50 x 61 cm. Le Havre, musée d'art moderne André Malraux, achat de la Ville, 1956. © 2005 MuMa Le Havre / Florian Kleinefenn
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Gustave SINGIER (1909-1984), Manoletina, 1953, huile sur toile, 63 x 73 cm. Le Havre, musée d'art moderne André Malraux, achat de la Ville, 1953. © 2005 MuMa Le Havre / Florian Kleinefenn © ADAGP, Paris 2020
Jacques VILLON (1875-1963), Trophées au cor, 1952, huile sur toile, 38 x 55 cm. Le Havre, musée d'art moderne André Malraux, achat de la Ville, 1953. © MuMa Le Havre / Florian Kleinefenn © ADAGP, Paris 2020
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CALMETTES Jean-Marie (1918-2007), Nature morte , huile sur bois, 92 x 73 cm. Le Havre, musée d'art moderne André Malraux, dépôt du CNAP. © 2005 MuMa Le Havre / Florian Kleinefenn
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